Chaque entreprise, chaque produit est différent. Il n’existe aucune solution universelle en matière de localisation. Toutefois, plusieurs facteurs peuvent vous aider à faire de la localisation de votre site web, un véritable succès. Dans cette interview, Tarja Karjalainen, responsable localisation chez Oura vous aide à atteindre vos objectifs en partageant sa vision et ses conseils. Chez Oura Health, elle a pour mission de rendre accessible sur différents marchés la bague connectée Oura, un dispositif de suivi de santé.
Le monde se compose de différentes cultures, mais aussi d’un nombre considérable de personnes différentes, dont les centres d’intérêt et préférences varient largement. C’est pour cela que nous avons besoin de la localisation.
Si une entreprise lance un produit sur les marchés internationaux de la même façon que sur son propre marché, elle découvrira bien assez tôt que le style du produit, voire le produit en lui-même, ne parleront pas nécessairement aux consommateurs.
Par exemple, si une entreprise finnoise développe un produit en Finlande, sa culture et sa façon de penser se refléteront inévitablement dans le produit. Sa langue aura également une influence, même si le produit est créé en anglais. Le produit pourra rencontrer du succès dans certaines parties du monde, mais il ne parlera absolument pas aux clients potentiels sur d’autres marchés. Si le produit ne marche pas, c’est tout simplement parce que le contexte culturel est différent, trop éloigné de ce à quoi les consommateurs de ce marché sont habitués.
Un excellent produit fonctionnant bien sur certains marchés peut ne pas rencontrer de succès sur d’autres. Généralement, cela est lié au fait que l’utilisation ou l’aspect du produit ne paraissent pas naturels, ou que le produit ne plait pas aux consommateurs.
Cela peut s’expliquer par de petits détails. La langue constitue la première façon d’adapter un produit à un marché cible, mais on peut également citer d’autres facteurs, tels que le schéma de couleurs, le design ou le contenu.
Certains marchés ont une tolérance pour la diversité des produits. C’est le cas des petites zones linguistiques et culturelles telles que la Finlande, dans lesquelles les consommateurs ont l’habitude que les produits ne soient pas localisés pour leur marché.
En Allemagne ou en France par exemple, les gens s’attendent à ce que les produits soient disponibles dans leur langue. Dans certains cas, la législation peut imposer que les produits et les documents en lien avec ces produits soient traduits dans la langue locale.
Qu’en est-il du marketing ? Une entreprise peut faire le choix stratégique de commercialiser son produit en anglais sur le marché finnois par exemple. En théorie, cela fonctionne puisque les Finlandais comprennent généralement bien l’anglais. En pratique toutefois, les consommateurs peuvent ne pas avoir conscience des raisons pour lesquelles ils ne sont pas attirés par une publicité en anglais. Ils regardent et comprennent la publicité, mais celle-ci ne provoque pas la réaction émotionnelle attendue.
Les clients doivent comprendre ce qui leur est proposé et vendu, mais ils doivent aussi être touchés par le produit ou le service. Un objectif généralement atteint grâce à la langue. Cette dernière peut permettre d’apporter les nuances générant une réaction émotionnelle chez les consommateurs, ce qui les incitera à acheter le produit ou le service.
La localisation rend un produit accessible sur d’autres marchés. Elle constitue la clé du développement à l’international.
En négociant avec un client allemand par exemple, l’accord peut nécessiter que le produit et ses documents soient traduits en allemand. Dans une telle situation, il semble justifié d’adapter le produit et ses documents dans une nouvelle langue, puisque cela permet de conclure l’accord. L’Allemagne est un exemple intéressant car elle ouvre les portes d’un monde germanophone plus important avec des marchés tels que l’Autriche ou la Suisse, dans lesquels l’allemand est la langue principale. En d’autres termes, un investissement unique peut avoir une portée bien plus grande.
Il convient de mener le même type d’études utilisateur et client que pour le marché principal. En pratique, il n’y a aucune différence à ce sujet. L’entreprise doit déterminer qui est l’acheteur et à qui le produit est vendu.
Il est tout à fait possible que la persona de l’acheteur ou le groupe cible soit différent du marché principal. Par exemple, le groupe cible sur le marché principal peut être les trentenaires, alors que la démographie de l’acheteur sur le nouveau marché peut se composer de personnes âgées de 40 à 50 ans. En d’autres termes, le groupe cible peut être totalement différent.
Prenons pour exemple une montre. Dans beaucoup de pays européens, la montre est un accessoire fonctionnel qui indique l’heure. Le plus important est qu’elle fonctionne comme l’utilisateur le souhaite. La situation peut toutefois être différente sur d’autres marchés où la fonctionnalité est importante, mais où l’esthétique joue également un grand rôle. Sur un marché, l’apparence de la montre n’est pas le critère le plus important alors que sur un autre marché, la montre peut permettre d’afficher son statut ou être un accessoire tendance. La demande pour le produit peut exister sur les deux marchés, mais les caractéristiques importantes pour l’acheteur peuvent varier considérablement. Cela concerne par exemple le design et les fonctionnalités.
Il est essentiel de comprendre le marché cible.
Il est également utile de comprendre le type de langage utilisé par les utilisateurs ou clients : pas uniquement la langue qu’ils parlent, mais aussi la façon dont ils utilisent cette langue. Cela nécessite un travail d’enquête. Si le produit a déjà été lancé sur le marché, on peut trouver des utilisateurs actifs, ce qui constitue une excellente opportunité d’étudier comment ces clients ou utilisateurs existants parlent du produit. Ces conversations et commentaires peuvent fournir des idées sur le type de langue à utiliser pour communiquer avec les clients afin de s’assurer de toucher aussi efficacement que possible le groupe cible.
Pour la traduction d’applications par exemple, il peut être intéressant d’étudier comment les personnes du marché cible parlent du produit dans leur propre langue. Ces éléments peuvent être intégrés dans la communication de l’entreprise. La communication produit est déterminée en grande partie par la marque et le ton utilisé, mais il est possible d’inclure dans les traductions et la localisation des éléments en lien avec le marché cible et la façon de parler des consommateurs. Cela rendra le message plus adapté au groupe cible.
Une recherche de mots-clés pour le marché cible devrait également être réalisée car elle permet à l’entreprise de déterminer les mots-clés locaux les plus populaires. En étudiant la langue et la terminologie utilisée par les clients existants, l’entreprise comprend mieux quels mots-clés choisir. Une traduction directe ne reflétera pas toujours les mots-clés les plus utilisés.
Il n’y a pas de processus universel de localisation, tout dépend de l’équipe. Le processus doit être à l’image de l’équipe de localisation, ce qui signifie que celle-ci doit être à l’aise avec le processus. Le meilleur processus est celui qui récolte l’adhésion de tous.
Les principales étapes du processus de localisation sont la phase de planification, la phase de traduction, la phase de test et la publication dans la langue cible.
Idéalement, la localisation d’une application mobile devrait commencer dès sa conception. Par exemple, au moment d’ajouter une nouvelle fonctionnalité à l’application, le concepteur devrait tenir compte de la localisation : cela marchera-t-il sur tous les marchés ? Cela prend-il en considération les exigences ou besoins spécifiques des différents marchés ? Est-ce intéressant ? Cette mise à jour fonctionnera-t-elle sur tous les marchés ? Sur combien de marchés sera-t-elle utile ?
La phase de planification comprend également un briefing pour l’équipe de localisation et les traducteurs. Les informations portant sur les prochaines évolutions, par exemple un produit ou la mise à jour d’une fonctionnalité, sont importantes pour toutes les personnes impliquées dans la localisation. Lorsque les documents sont envoyés aux traducteurs, ces derniers devraient déjà savoir de quoi il est question.
L’un des défis de la localisation est la limitation en termes de temps. Comment les traducteurs peuvent-ils faire un bon travail si on ne leur laisse que deux jours ?
Cela devrait être pris en considération, surtout lorsque les éléments à traduire sont conséquents. Un traducteur professionnel peut traduire en moyenne 2 000 mots par jour. La traduction nécessite plus de temps si elle est de nature créative, c’est-à-dire si le traducteur adapte le contenu d’origine dans la langue cible. C’est le cas du contenu marketing, par exemple lorsque la traduction est adaptée à la langue cible pour s’assurer qu’elle parle à un public cible spécifique. Le même type de créativité peut être nécessaire pour traduire des applications mobiles et autres logiciels tels que des interfaces utilisateurs.
L’équipe de localisation devrait garder à l’esprit que même si le temps alloué à la traduction est très limité, il est possible de préparer les choses en amont. Si le traducteur n’a pas de briefing avant de recevoir les documents, il devra probablement se dépêcher. S’il peut toutefois étudier le sujet avant de recevoir les documents, il aura plus de temps pour la traduction à proprement parler.
Le test constitue un autre défi. Beaucoup d’entreprises sautent cette phase, mais il est pourtant très important de tester la version traduite. À quoi ressemble la nouvelle version linguistique ? Est-ce que tout fonctionne de la même façon que dans la version d’origine ?
La coopération est la clé d’un bon processus de localisation. La qualité de n’importe quel processus dépend des personnes impliquées.
La technologie devrait être utilisée pour éliminer du processus toutes les phases de travail que personne n’aime. Cela comprend par exemple toutes les tâches manuelles répétitives, telles que le transfert de fichiers. Toutes les tâches et phases de travail qui n’améliorent pas la qualité de la traduction ou qui n’aident pas le produit devraient être automatisées.
Dans le cas des produits logiciels par exemple, le processus devrait être automatisé de sorte que les segments puissent être envoyés facilement et rapidement aux traducteurs.
La technologie devrait être utilisée autant que possible pour laisser le maximum de temps aux traducteurs afin qu’ils réalisent un travail créatif, mais aussi permettre à l’équipe de localisation et aux traducteurs de discuter et d’échanger des idées.
Toutefois, construire le processus autour de la technologie n’est pas une bonne idée. Le travail créatif devrait constituer l’élément principal.
Toutes les personnes prenant part au processus devraient discuter. C’est généralement en échangeant que l’on peut créer les meilleurs processus.
L’entreprise devrait écouter l’avis de tous les participants et leurs éventuels problèmes. La solution à un problème peut se refléter dans le travail d’un grand nombre de personnes et dans l’attitude de ces personnes vis-à-vis du processus.
Toutes les sources possibles de ralentissement doivent être clarifiées si l’objectif est de développer un processus existant : que doivent faire les gens, qu’attend-on d’eux et quelles sont les choses qu’ils ne peuvent pas faire dans le processus actuel ? Le processus peut être amélioré en se basant sur ces discussions.
Tout dépend du produit et de l’objectif de la localisation : la satisfaction et la fidélisation des clients ou la croissance financière ? Sur lequel de ces objectifs va-t-on mettre l’accent ? L’objectif de la localisation devrait également être clarifié.
Les données constituent un élément de réponse. Les entreprises collectent sans cesse des données sur leurs produits et leur utilisation, les visites sur leur site web et d’autres aspects similaires. Les données collectées permettent également de savoir ce qui pourrait être localisé et ce qui doit être localisé.
Par exemple, si l’entreprise dispose d’un site web complet d’assistance et que sa localisation utiliserait l’ensemble du budget de localisation, il peut être utile d’étudier quels articles ou pages sont les plus consultées et quels documents sont les plus recherchés. Ces informations peuvent être utilisées pour prioriser le processus : au lieu de tout localiser, l’entreprise ne localise que les éléments les plus populaires et utiles en fonction des données collectées.
Pour aider à sélectionner le matériel à localiser, l’entreprise devrait réfléchir à la définition du produit, son utilisation et ce qui doit être localisé pour que l’utilisateur puisse s’en servir.
Par exemple, une application mobile doit être localisée dans la langue cible pour permettre aux utilisateurs de l’utiliser de manière fluide. Des documents d’aide localisés doivent être disponibles pour que les utilisateurs puissent se dépanner. Par exemple, les ressources de support technique ne devraient pas être utilisées dans la résolution de problèmes si des documents localisés sont disponibles.
Si une entreprise dispose de papiers blancs ou de documents similaires en anglais et qu’elle a cinq marchés cibles, les documents ne doivent pas nécessairement être localisés pour les cinq marchés. Une recherche de fond est nécessaire dans ce cas pour déterminer quel marché a un besoin réel des documents.
Les données existantes et des connaissances du marché et du groupe cible fournissent généralement les informations nécessaires pour déterminer quels documents localiser.
Le meilleur moyen est de créer une équipe d’experts disposant des connaissances suffisantes du sujet et de la langue. Cela permet d’éviter tout problème linguistique.
Il peut s’avérer payant d’investir dans une telle équipe et de participer à sa formation et son développement. Cette stratégie garantit généralement de bons résultats.
Si la langue en question n’est pas utilisée dans l’entreprise, cette dernière peut faire vérifier les documents par un tiers une fois par an ou par trimestre par exemple.
Une solution possible est le recours à un service de test de localisation. Cela fournit à l’entreprise un retour sur l’équipe et la qualité de la localisation.
Les traductions inversées constituent également une solution si l’entreprise souhaite s’assurer de la qualité des éléments traduits avant leur publication. Dans le cadre d’une traduction inversée, un traducteur professionnel traduit à nouveau le document depuis la langue cible vers la langue source. Les traductions inversées sont souvent utilisées dans le secteur médical, mais elles sont également pertinentes lorsqu’une entreprise souhaite s’assurer que la traduction utilise le bon ton ou que son message passe bien dans la langue cible.
Dans le cas des produits de consommation, j’écoute avant tout les consommateurs. Ces derniers font rarement part d’erreurs dans la traduction ou d’incohérences, mais leur retour peut être précieux pour certains produits.
Le retour client est l’indicateur que je suis le plus souvent, de façon hebdomadaire voire quotidienne pour tous nos marchés et langues cibles. Si les clients me disent que la langue utilisée est de mauvaise qualité ou n’est pas compréhensible, cela me pousse à comprendre à quel moment les choses sont allées dans la mauvaise direction. C’est généralement le meilleur moyen d’identifier des problèmes.
Si les documents sont vérifiés par un tiers, le réviseur dispose d’une perspective différente de celle du client. C’est pour cela que j’estime que le retour des clients est très important.
J’encourage vivement chacun à demander des retours à ses clients, notamment pour les produits de consommation, mais aussi pour les produits B2B qui sont également utilisés par des personnes.
Oui, il faut toujours une équipe, composée d’au moins une personne. Il est essentiel qu’une personne désignée gère, coordonne et s’occupe de la localisation.
Les gens ne réalisent pas forcément que la localisation implique un très grand nombre d’aspects. Il s’agit d’un processus multidisciplinaire qui force la personne en charge de la localisation à travailler de près ou de loin avec tous les services de l’entreprise.
Une personne peut suffire au départ, mais au fil du temps, la localisation nécessite généralement la création d’une équipe.
Lorsqu’une personne ou une équipe est en charge de la localisation, cela permet de réaliser l’importance de ce processus. Cela prouve que l’entreprise investit dans la localisation et qu’elle veut faire les choses correctement.
Oui, bien sûr. Si un traducteur fait partie d’un projet ou d’une équipe et qu’il traduit pour le même client, il a une certaine propriété du travail.
C’est ce que j’attends des traducteurs qui travaillent avec moi. Le traducteur finit par bien connaître le produit au fil du temps, ce qui rend la traduction plus facile et plus rapide.
Je trouverais étrange d’avoir un nouveau traducteur pour chaque projet et de devoir à chaque fois recommencer à zéro.
Je pense qu’une bonne compréhension entre le responsable de la localisation et le traducteur a un impact majeur sur le résultat final.
Il n’y a pas d’information superflue, toutes les informations sont importantes. Plus le traducteur a d’informations, meilleur sera le résultat.
Le traducteur a besoin de toutes les informations qu’il est possible de lui fournir. Il doit aussi savoir où la traduction sera utilisée et à quoi ressemblera le texte.
Dans le cas des applications par exemple, je souhaite que les segments à traduire ne soient plus envoyés au traducteur sans contexte. Même si le contenu est extrêmement simple, le résultat sera meilleur si le contexte est précisé, sous la forme de captures d’écran par exemple.
J’ai travaillé pendant plusieurs années en tant que rédactrice d’expérience utilisateur (UX) pour des plateformes digitales. La situation était exactement la même. Le résultat était très différent selon si je connaissais ou non le contexte.
En bref, essayez toujours de fournir au traducteur toutes les informations disponibles, ainsi que le contexte.
Prenons le problème dans l’autre sens. Si le briefing que vous avez préparé vous était transmis, sauriez-vous quoi faire ?
Vous devez écrire un briefing que vous pourriez comprendre et qui vous fournisse suffisamment d’informations. Les traducteurs travaillent de la même façon que nous. Si nos tâches ne nous sont pas clairement expliquées, les résultats ne seront pas bons.
La localisation devrait être vue comme un accélérateur de croissance plutôt que comme un ensemble de dépenses. Cela permet aux entreprises d’envisager dans le détail quels projets de localisation elles devraient soutenir.
La plupart des grandes multinationales se sont également lancées dans la localisation par des projets à petite échelle. La localisation a ensuite pris plus d’ampleur grâce au retour sur investissement.